FACEb #19 - No more storytelling
L'idée, une sacrée histoire ; quelle alternative au récit ? Le pouvoir des mots a ses limites ; Polnareff dit oui à Yomoni ; Installez-vous, on vous raconte tout.
De la nécessité de faire d’une idée autre chose qu’un récit.
Raphaël Llorca remet en question le storytelling omniprésent : est-il temps de réécrire les règles ?
N’en demandons pas trop aux mots
Polnareff fait tout, tout pour Yomoni
EH, DITES, OH !
Et si on arrêtait de se raconter des histoires ?
« C’est quoi l’idée ? »
Longtemps cette question a servi de mantra aux publicitaires de tous horizons. Expression fétiche de Philippe Michel, l’illustre fondateur de CLM BBDO, elle appelait en réponse des recettes créatives inspirantes, lumineuses et percutantes, au service de la marque.
Petit à petit, une autre question s’est imposée, marquant l’avènement du storytelling : « c’est quoi l’histoire ? ». C’est un fait, le pouvoir du récit ne cesse de séduire les marques par sa capacité à donner du sens, clarifier les valeurs et créer un sentiment d’appartenance. Un phénomène favorisé par l’essor des réseaux sociaux.
Le récit est désormais si omniprésent que nous sommes confrontés à une « prise de contrôle narrative de la réalité », regrette Raphaël Llorca, citant l’universitaire américain Peter Brooks dans une tribune publiée dans L’Opinion. Pour les marques, le risque de cette « narrato-dépendance » est de se perdre en chemin, de donner trop de poids au récit et de finir par se raconter… des histoires.
« Qui sommes-nous ? » Une marque doit pouvoir répondre à cette question pour avoir une identité claire dans l’esprit des consommateurs et crédibiliser son discours. À quoi bon, en effet, espérer développer un récit inspirant sans être sûr d’en posséder les éléments constitutifs ?
Si l’on ne veut pas voir surgir l’ère des « fake stories » qui serait destructrice pour la réputation des entreprises, il est sans doute temps d’envisager une alternative au récit et pourquoi pas revenir à l’essence même de la pub : l’idée. Pure, brute, évidente, incontestable.
RADAR
Raphaël Llorca : “ J’aime l’idée de planter la graine de sortir du tout récit ”
Essayiste et communicant associé à la Fondation Jean-Jaurès, Raphaël Llorca est l’auteur du Roman national des marques, dans lequel il décrypte comment les marques se sont emparé du récit national en panne.
Dans une tribune intitulée “ Le récit, anatomie d’un piège”, publiée début septembre dans « l’Opinion », il plaide également en faveur d’une alternative au récit, accusé de susciter des attentes démesurées et d’exercer une force de séduction telle qu’il pousse inévitablement à se désintéresser de ses conditions de vérités.
Nous avions une folle envie d’échanger avec lui.
Dans votre chronique, vous adhérez à l’idée défendue par l’universitaire américain Peter Brooks selon laquelle il faut faire advenir de nouvelles formes non-narratives de discours. Mais quelles sont les options qui s’offrent à nous ?
R.L. : J’ai conscience de la limite du raisonnement et je ne suis même pas sûr qu’il existe une solution tant le récit imprègne l’ensemble de nos modes d’interaction. Mais je prends très au sérieux ces questions : « comment se faire entendre aujourd’hui ? Comment porter un récit qui continue d’intéresser les gens ? ». En fait, j’aime l’idée de planter la graine de sortir du tout récit.
Comment la publicité peut-elle contribuer à cette réflexion ?
R.L. : Une première piste qui mériterait d’être explorée par les marques est le retour à la réclame. C’est-à-dire à une forme dépouillée de la publicité qui ferait la part belle à la sobriété et redonnerait tout son sens à la promesse. J’ai en tête une campagne de la marque de cosmétique Typlogy qui, selon moi, l’a très bien intégrée dans sa communication il y a deux-trois ans : « L’essentiel, pas plus. » Le concept reposait sur la mise en avant du produit, servi par un texte minimaliste, sans argumentation superflue. Mais il faut être lucide, cette approche implique une maturité et une audace créative dont toutes les marques ne sont pas capables.
“Je constate aujourd’hui dans la communication des marques dominées par le récit un décalage énorme entre la valeur d’usage et la valeur symbolique”.
Abandonner la force du récit pourrait être interprété comme un aveu d’échec pour les marques.
R.L. : Le sémioticien Jean-Marie Floch, qui a conçu dans les années 90 une typologie des philosophies de la publicité, estimait qu’il y a deux façons d’aborder la publicité par la philosophie du langage :
D’une part les publicités qui s’inscrivent dans la fonction représentationnelle du langage, où celui-ci sert à représenter le monde, où il suffit de trouver les bons mots pour le retranscrire. Ce qui débouche sur un discours très informatif, sans esbrouffe, qui fait la part belle à la pureté de l’insight.
Et d’autre part, les pubs qui s’inscrivent dans la fonction constructive du langage. C’est par le mot que l’on fait advenir la réalité qui ne préexistait pas au mot. C’est ce que Floch appelle les publicités mythiques. Des pubs qui cherchent à donner du talent à la consommation.
Or, il me semble qu’on arrive à un moment où l’on se fatigue de ce type de discours très aspirationnel. Je constate aujourd’hui dans la communication des marques dominées par le récit un décalage énorme entre la valeur d’usage et la valeur symbolique. Dans certains cas, la déconnexion est tellement importante qu’en définitive on perd un peu tout le monde. Face à ce constat, explorer une nouvelle forme de discours n’aurait donc rien de déshonorant.
Dans votre ouvrage « Le Roman national des marques, le nouvel imaginaire français », vous considérez que les marques sont les seules à pouvoir regagner des conditions d’écoutes à l’heure où les politiques ont perdu l’attention de la population.
R.L. : Ces derniers temps, une tendance lourde s’est effectivement fait jour : les marques ne structurent plus seulement la société de consommation mais, au travers de leurs discours, façonnent de plus en plus les imaginaires politiques et s’en font les architectes invisibles, en s’inscrivant systématiquement en creux du politique et de ses faiblesses. Elles se positionnent, pour susciter l’adhésion, en miroir de ce dernier : partant de l’identification d’une lacune, elles promettent de la résoudre par la consommation d’un bien ou d’un service.
“ On assiste à une espèce de marché de l’engagement qui pousse les entreprises à adopter un discours toujours plus radical, dans une sorte de benchmark continu “
Les marques auraient-elles dévoyé leur engagement sociétal ?
R.L. : La politisation de leur discours est en tout cas indéniable. Non pas au sens d’engagement comme on le dit souvent, mais dans le sens d’un transfert de capital symbolique. On observe dans la société actuelle une course à la radicalité et à la polarisation : l’idée sous-jacente étant que puisque plus personne ne nous écoute, il est nécessaire d’être plus clivant que les autres. En conséquence, on assiste à une espèce de marché de l’engagement qui pousse les entreprises à adopter un discours toujours plus radical, dans une sorte de benchmark continu. Cela s’est vu notamment lors du mouvement Black Lives Matter. Avec, pour la première fois, une charge de l’engagement inversée : l’idée était moins de saluer les entreprises qui s’engageaient en soutien du mouvement que de pointer du doigts celles qui ne le faisaient pas.
Est-il raisonnable de laisser le champ libre aux marques pour raconter le récit national auquel vous faites référence ?
R.L. : Évidemment non. Mon inquiétude, c’est que l’on accepte l’idée d’installer les marques en concurrent du politique. Bien sûr, la compétition n’est pas frontale : il est difficile d’imaginer qu’une marque se présente un jour à l’élection présidentielle ! La concurrence est d’un autre ordre, elle se situe sur le plan des imaginaires et des récits. Mais elle est déloyale, car les marques sont des messagers de confiance qui suscitent beaucoup moins de rejet, moins de méfiance, que le politique.
Quel risque cette situation fait-elle peser ?
R.L. : Le risque est que l’on assiste à une dépolitisation massive. Que le citoyen s’habitue petit à petit à ce que le politique soit moins puissant que les marques pour raconter le pays, ses us et coutumes, ses habitants, et qu’il finisse par voter avec sa carte bleue plutôt qu’avec ses convictions.
Pour aller plus loin, on ne saurait que trop vous conseiller le Roman national des marques (éditions de l’Aube), disponible depuis le 15 septembre en librairie.
C’EST DIT
N’en demandons pas trop aux mots
Il faut se méfier des idées reçues, elles ont une fâcheuse tendance à falsifier la réalité. L’une des plus répandues est qu’on a tous une histoire à raconter. Un sentiment renforcé par l’avènement du social media et de l’influence marketing. Que l’on soit simple citoyen, marque, institution ou politique, la narration du récit apparaît comme un passage obligé pour quiconque entend éveiller des émotions, séduire et convaincre.
Pourtant, raconter une histoire n’a jamais semblé aussi difficile. La faute à une overdose de discours de marque creux, vides de sens. Mais aussi à un contexte anxiogène dans lequel, reconnaissons-le, il est difficile de projeter un discours engageant et désirable.
Par les temps qui courent, forger un récit authentique et développer une stratégie de contenus cohérente demande une belle dose d’énergie. Par respect pour les consommateurs, on l’a déjà dit, mais aussi, et on l’oublie trop souvent, par respect pour la marque elle-même.
S’aventurer sur le terrain du récit implique que l’on dispose d’éléments attributifs suffisamment pertinents pour nourrir un discours fédérateur. La vérité nous oblige à dire que c’est loin d’être le cas pour bon nombre de marques qui fantasment leurs histoires davantage qu’elles ne les portent en elles. Dit autrement, les marques en demandent toujours trop aux mots.
Ce qui leur fait le plus souvent défaut est l’absence de structuration du discours de marque. Cyril Dhénin, notre Directeur Content performance, le pointait du doigt dans sa tribune La charte expression, chaînon manquant entre plateforme de marque et expérience client | LinkedIn.
« Un chaînon manquant. C’est le constat de nombreux clients qui, après avoir longuement travaillé sur leur plateforme de marque, s’attèlent à d’autres chantiers tels que les socles de discours ou encore la stratégie de contenu. » Et de rappeler l’erreur commune de s’appuyer sur le “Tone of Voice” pour réinjecter de la cohérence dans les prises de parole. Une solution malheureusement insuffisante pour répondre aux enjeux identifiés. D’où la réponse que nous proposons à travers la charte d’expression de marque.
Brainstory
Polnareff fait tout, tout pour Yomoni
Les créatifs sont bien placés pour savoir qu’accoucher d’une bonne idée tient parfois à peu de chose. L’inspiration à ceci de miraculeux qu’elle peut surgir au moment où l’on s’y attend le moins. Comme de la lecture de rapports financiers par exemple. Croyez-le ou non, c’est exactement ce qu’il s’est passé pour notre client Yomoni, plateforme de gestion d’épargne 100% en ligne qui entend bousculer les standards d’un secteur trusté par les banques traditionnelles.
Pour s’imposer sur un marché qui pèse en France 600 Mds €, il faut avant tout disposer de performances qui parlent aux épargnants. En la matière, Yomoni a des arguments à faire valoir puisqu’elle cumule en 2023 une dizaine de prix attribués par les publications spécialisées.
« La lecture des performances de Yomoni nous a fait dire, au sein de l’agence “ah si j’avais su…" explique Maria Sankalé, directrice conseil en charge du budget chez Brainsonic. L’idée de la campagne a surgit de cette réflexion. »
En quête d’une notoriété suffisamment forte pour s‘imposer comme la meilleure alternative à l’épargne traditionnelle, Yomoni avait besoin de codes identitaires forts et d’un message différenciant. « Il nous fallait donc trouver la personnalité parfaite pour incarner notre concept, un personnage connu du grand public et davantage réputé pour être un hédoniste qu’un gestionnaire prudent », poursuit Maria Sankalé.
Des célébrités en délicatesse avec la gestion de leur fortune, ce n’est pas ce qui manque. Mais une star qui accepte de se mettre en scène sur une question aussi sensible, il n’y en n’a pas trente-six.
Michel Polnareff cochait toutes les cases : il a connu des déboires avec le fisc, il a le goût de la provocation et il n’était jusqu’ici jamais apparu dans une publicité. Le claim de la campagne était tout trouvé : « S’il avait mieux géré son épargne, Michel Polnareff n’aurait pas besoin de faire la pub de nos solutions d’épargne. »
« Le concept consistait à tenir ce discours de vérité crue, presque brutale qui tranche radicalement avec ce qu’on a l’habitude de voir entre les marques et leurs égéries. Dans le film, on arrive même à obtenir de délicieux petits instants de malaise », savourent Sébastien Combemale et Thomas Audoin, directeurs de création chez Brainsonic.
De fait, dans le film produit par Henry et réalisé par Adrien Armanet, le chanteur est malmené par un annonceur au logo omniprésent qui relègue l’icône de la pop française au rang de faire-valoir. « On ira tous chez Yomoni » déclare la voix off sur les quelques notes de « On ira tous au paradis ». « Même moi » conclut Michel Polnareff, qui démontre qu’il n’a rien perdu de son sens de l’auto-dérision.
La campagne a été lancée mi-octobre, alors même que Yomoni vient de fêter son premier milliard d’euros en gestion d’actifs. Gageons qu’avec une telle exposition, elle a peu de chance de mettre ses clients sur la paille.
C’est fini pour ce mois-ci. Mais FACEb est loin d’avoir mis un point final à ses inspirations. La suite au prochain épisode.
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